Le noir total, la non existence, le parfait rien. C'est la première chose que ressentit Ushara lors de sa naissance et ce fut de loin le pire sentiment qu'il ait put avoir. Une peur l'envahit, à peine eut-il ouvert les yeux, déjà grand, déjà mature, que la terreur s’immisça dans chaque fibre de son être, le rendant fébrile, faible. Ushara est né de l'angoisse et l'angoisse le fait vivre.

« La place où tu es né t'interdit de viser plus haut. » Furent des paroles qu'on lui répéta toute son existence. Ushara savait qu'elles n'étaient que mensonge, que la force d'un asheru lui permettait de se hisser dans la hiérarchie et qu'il pourrait, un jour, comme son père avant lui, espérer une meilleur place.
Ushara, En de son vrai non, en voulu énormément à celui qui se scinda pour lui donner naissance. Dans les premiers jours suivant le commencement, il ne ressentait pour lui qu'une étrange admiration. Mais peu à peu, dès qu'il comprit quelle était sa place dans ce monde, quelles étaient les restrictions dû à sa naissance, il ne put s'empêcher d'avoir une certaine rancœur. Il se demanda même assez souvent si son père ne l'avait pas créer pour avoir le plaisir de lui commander.
Que ce soit la réelle raison ou non de sa venue au monde, ses frères et sœurs, eux, s'en donnèrent à cœur joie. C'est qu'il faisait tâche, Ushara, au milieu des grands fils et filles d'Ashera. Il n'était bestial que de par son museau et sa fourrure, mais il n'avait pas la stature, pas la taille, pas l'étoffe de ces guerriers brutaux et sauvages. C'est à coup de crocs et de serres que son père devint, peu à peu, un peu plus respecté dans la meute qu'était sa Dumu. Mais il n'en restait pas moins un Asheru de haute génération et donc de bas rang. Ainsi, ne supportait-il pas de voir un être si fluet être sa création.

Au départ, il tenta de lui montrer le chemin. Il le guida, à travers Lagash, trouvant diverses victimes humaines sur lesquelles s'exercer – s'entraîner avec sa fratrie avait faillit lui coûter la vie à plusieurs reprises. Le père lui fit une démonstration de la sauvagerie et son goût pour la chair humaine guida chacun de ses spectacles. Pourtant, Ushara sembla hermétique à tout cela, il n'en voyait simplement pas l'intérêt et se sentait étrangement compatissant envers ces petits êtres. Peut-être était-ce car ils étaient comme lui, tout en bas de l'échelle, dans tous les cas, Ushara ne leur fit pas de mal, au début.

Puis, peu à peu, pendant une vingtaine d'années à peu près, on le traita de moins en moins bien. Son père perdit le peu d'intérêt pour lui, il lui sembla même qu'il le dégoûtait. Ses frères et sœurs ne s'entraînaient plus, ils se contentaient de se défouler sur lui, le laissant en vie uniquement pour ne pas perdre leur jouet favoris.
C'est qu'il était amusant, Ushara, un petit bien résistant. Il voulait faire le fier, résister à la douleur, mais il finissait toujours pas pimer misérablement, plus bas que terre. Le shéma se répétait sans cesse et quoi qu'on tente de lui apprendre sur sa place au milieux de Lagash, il masquait ses craintes.

La vie était pour lui un réel crève-cœur. Sa crainte maladive de la non-existence le poussa à se battre pour ne pas mourir, mais au fond de lui, il se sentait de plus en plus désespérer. De plus en plus proche d'abandonner.
Il se comparait sans cesse aux autres Asheru, aux autres enfants d'Ashera et il comprenait l'écart qu'il y avait entre eux. Il n'était rien, faible, pathétique, un chien galeux au milieu des loups... Des ours ! Mais il n'était pas seul dans cette spirale d'humiliation et de domination, il lui restait les humains. Ces agneaux, les seuls à être effrayés par le chien malade. Il lui sembla même qu'il commença a les apprécier, après tout.
Il fit la connaissance d'une esclave, celle de son père. Il l'apprécia immédiatement, la crainte dans son regard, le respect qu'elle avait pour lui... Il ne se sentait plus aussi misérable à ses côtés car la comparaison devenait immédiatement risible. Il lui fit du mal, beaucoup, mais elle accepta à chaque fois son sort et il goûta les plaisirs de la chair. Elle continuait d'avoir peur de lui, mais elle ne le détestait pas.
Puis ses frères le comprirent. Son père, également. Ils lui en parlèrent et il accepta d'y remédier. Son fils n'avait pas le droit d'éprouver quoi que ce soit d'autre que du mépris envers un humain, que son amour soit teinté de sang et de rage, cela ne lui emportait guère.

Il amena l'esclave devant lui et le força à la dévorer. Ushara ne voulu pas, au départ, il lutta contre l'autorité paternelle. Puis il finit par céder, il se jeta sur elle et, s'imaginant une de leur étreinte pour rendre les choses moins dur, il dégusta son sang, ses organes et même ses os. Il y prit du plaisir, un plaisir coupable qui le rongea comme cette foutu peur du néant. Et, au fond de son cœur, dans la noirceur de son âme, il se promit une chose : « Les lois, les codes, je ne m'y soumettrais plus. En fait la promesse de tous les soumettre. Ils veulent un sauvage, ils auront un sauvage. »

A partir de ce jour, il ne fut plus jamais le même. Le changement fut insidieux, lent, il ne s'en rendit presque pas compte ne dépit de sa promesse. Il commença par s'attaquer à ceux qui lui étaient inférieurs, les seuls qu'il pouvait avoir à sa merci. Dans les rues de Lagash, il n'était pas rare de le voir prendre un humain, de le voir en martyriser un autre. Il se montrait cruel, se défoulait. Cette frustration enfouit devenait une douce mélodie qui, accompagnée des cris de souffrance, accompagnaient sa vie.
Il commença à tenir tête à ses bourreaux de toujours : sa fratrie. Au départ, ce ne furent que des protestations et puis, peu à peu, il commença à se battre contre eux. Il se défendait, même s'il était évident qu'il ne les égalait pas. Après tout, ils étaient plus nombreux, plus grands, plus forts. Il lui arrivait même de les provoquer avant de fuir, de les insulter et d'en subir les conséquences. Le respect qu'il avait jusqu'alors de ses dominants s'envola au fil des années. Il avait évidemment des limites, il ne provoqua jamais des Séides et jamais il ne poussa à bout des Zélateurs. Son père non plus, ne fut jamais pousser à la violence en dépit de l'arrogance dont faisait preuve Ushara.

Petit à petit, sa réputation changea. On ne le vit pas comme Ushara le faible, mais Ushara la Vermine. Celui qui n'a aucune pudeur, celui qui ne connaît de limite, celui qui est dépourvu d'honneur ou de morale. Il ne dit jamais à haute voix son opinion sur Phenex qui avait également changer au fil des ans, ne révéla pas son admiration pour Zagan – mêlé de crainte – ni même son intérêt pour Mudû le Banni. Pourtant, cela ne suffit pas à le préserver du dégoût de sa Dumu.
Ce fut une nouvelle frustration pour Ushara qui ne parvint pas à se faire respecter en dépit de ses efforts. Il prenait goût au sadisme et ne se cachait que pour dévorer des humains, aussi, finit-il par nourrir un complexe de supériorité. Voyez le comme une vermine ! Un jour, Ushara sera plus haut encore qu'Ashera, se disait-il chaque jours.

Si le contexte politique entre les principautés de Bêl, Zagan et Ashera ne lui emportait pas plus que cela, in s'enquit tout de même de la situation. La seule chose qu'il craignait fut une attaque dans laquelle il pourrait perdre la vie venant de Zagan. Mais comme cette dernière ne vint jamais, il finit par ne même plus s'en soucier, préférant passer le plus clair de son temps à s'amuser de ses victimes.